Le Vide Parler pour ne rien dire, meubler les silences par d’autres silences, l’inutile du discourt. Lâché sur un navire faisant eau de toutes part, au calfat étiolé, engraissé de tarets, aux écoutes élimées, aux voiles mal bordées faseillant asynchrones, sentir monter le grain, humer la tempête en courant aux brisants, courir au capitaine en n’en trouver aucun, courir à l’équipage et le trouver aux dés jouant la tunique, courir aux passagers les trouver caquetant, quand tribord tire à hue et bâbord souque à dia, le silence s’installe, le spectacle est navrant, soit, reste à le contempler, à lui chanter son ode, Néron, finalement, était-il aussi fou ? Ne rien dire ... On a volé “Le Cri “. On peut raisonnablement douter que ce soit pour retirer de la vue du public une des œuvres dont la puissance, la présence et le signe avait une force de réveil suffisante pour influer sur le cours de l’histoire, ou du moins sur l’histoire de quelques-uns. On a volé le Cri, sans doute pour sa valeur marchande, pour son unicité, non pas pour le revendre, mais par valeur d’échange, pour la libération de quelques assassins, pour la rançon, pour quelque passe droit, peut-être pour la satisfaction intense d’un collectionneur qu’un ego surdéveloppé place au-dessus de l’humanité. Serait-ce l’argent qui donnerait cette suffisance ? On a volé le Cri, peut-être est-ce une bonne nouvelle, on n’en a jamais autant parlé, des dizaines de millions de photos ont circulées instantanément dans le monde, des millions de personnes qui ne savaient pas ont vu, mais le cri de la victime a t il jamais atteint le cœur du bourreau, et n’est-il pas justement la source de la sa jouissance ? Ne rien dire, se fondre dans la muraille, et comment va la santé, et les petits poussent bien, et ma nouvelle voiture, comment vous ne savez pas, ha c’est beau, bien sûr c’est plat, bien sûr c’est vide, mais au moins ça ne dérange personne, vous n’auriez pas la même en bleu c’est pour ma tapisserie. L’indifférence est force de survie, Pilate le savait bien ! On a volé le Cri, belle revanche pour l’art que de rappeler ainsi sa valeur, que l’œuvre n’existe que par elle-même, dégagée du foutra du bla-bla, libérée les mesquineries égotiques, des jalousies malsaines, des susceptibilités éruptives. Un bon artiste est un artiste mort, à condition toutefois que dans son dernier spasme, doucement étranglé par le nerf de la connerie, il en éjacule une dernière, quintessence d’une vie. L’art relève du faire autant que du penser, il ne peut naître sans plaisir ni sans douleur, sa jouissance est celle du transfert, du glissement du perceptible au perçu, de l’univoque à l’équivoque. L’art naît de l’envie du partage de ce qui ne peut l’être. Petit
exercice : Posez vos fesses confortablement quelque part en évitant le
Louis XIV ou l’Empire, donnons plutôt dans le sofa, la relaxe de chez
Madame & Jardins, ou pourquoi pas le pouf sixties. Imaginez une scène,
que par exemple, impudiquement vautré dans le moelleux d’un sable chaud,
un tiède vent-coulis glissant dans le creux des reins, lumière d’ors d’orangés
et de bleus, les derniers rayons s’éclatent sur le duveteux couvert, rajoutons
quelques cocotiers pour l’ombre et le bruissement, mer étale bien sûr,
roulant juste quelques rares galets pour la syncope du rythme, votre jouissance
est totale dans l’absence.
Maintenant, essayez donc de partager ça avec un inconnu resté coincé deux
heures dans un embouteillage durant lequel une des durites d’eau du moteur
s’est prit soudainement d’une grande envie de pisser, entraînant l’indépendance
du joint de culasse, ce qui tombe fort à propos, car l’appendice du gamin
vient de lâcher, et la dernière traite de la voiture n’est pas à l’ordre
du jour avant longtemps, le tout pour se faire incendier par son chef
de service lui-même rendu quelque peu irritable par la soudaine recrudescence
de ses hémorroïdes ou de ses corps aux pieds... Bienvenue dans le monde de l’art ! On a volé le Cri, quelle revanche. Faut-il rappeler qu’en 1892, un an avant qu’il n’ait été peint, l’exposition de Munch à Berlin fut fermée au bout de huit jours pour cause d’inconvenance, et ses expositions si bien boycottées par la presse qu’il dut s’expatrier. Ce n’est plus aujourd’hui que quoi que ce soit tentant de sortir des sempiternelles platitudes niaiseuses des arts con-sensuels avec ou sans imprimatur serait boycotté, la niaiserie satisfaite d’autant que rassurante, n’étant plus en rien menacée en devient tolérante. L’art aurait-il une autre valeur que celle des défis qu’il se jette, encore faudrait-il que défi il y ait, la texture du concept paraissant aujourd’hui quelque peu étiolée. Qui peut se vanter aujourd’hui d’oser relever le gant ? On a volé le Cri par goût du pouvoir, de l’argent, ou des deux, quelle insanité. Comme si on avait un jour pu, voler torturer et violer au nom de la liberté et de la démocratie, tuer et massacrer au nom de l’amour, au nom du Christ, de Mahomet ou de Bouddha ... L’humour de la situation, est qu’après tout, n’a été volé qu’un cadre avec un bout de toile et un peu de peinture, nul ne peut s’approprier ce qui fait sa valeur : le parcour et l’histoire de celui qui l’a peinte, son humanité, son émotion, son impact dans l’histoire collective, dans le défi que le peintre s’était jeté à lui-même, aux autres, aux institutions. Ne rien dire ... Il fait beau, merci, les pommiers du grand-père profitent bien, les fruits seront beaux cette année, un peu véreux sans doute, ... comme le reste ! Enfin, il y aura sans doute d’autres printemps, avec paraît-il d’autres récoltes... François Hameuy |