I
had a dream “ avait-il dit, ...
Ils
l’ont buté, bien sûr ! Ce n’est ni le premier, ni le dernier rêveur que
l’obscurantisme croit faire taire en le sanctifiant comme martyr. Pour
une fois ce fut propre et net, l’usage en la matière aurait voulu qu’on
le coupe en tranches, qu’on fasse une grillade de la langue et des couilles,
qu’on lui mange les yeux à la petite cuillère, et qu’on ne prenne ses
mains pour faire un cendrier qu’après qu’il se fût parjuré.
Les rêveurs ont ceci de particulier qu’ils n’ont d’autres armes que la
parole et les idées pernicieuses qu’elle génère, que le pouvoir d’imaginer
que ce qui est, n’est pas l’inéluctable conséquence d’équilibres qui nous
dépassent aux résultats savamment calculés, mais simplement la conjonction
aléatoire des appétits insatiables de psychopathes égotiques qui traient
le monde comme vache à lait.
Ils
n’ont d’autres armes que leur rêve, et pourtant ils font peur, ils font
peur aux puissants, ceux qui jouent à qui a la plus grosse, à qui en a
le plus. Ils mettent tout ce petit monde d’accord sur au moins un point
: les faire taire à tout prix ! On pourrait sans doute gloser longtemps
sur les raisons et les causes des névroses de ceux à qui le pouvoir temporel
échoit, ou de ceux qui auraient tué père et mère pour l’avoir, comme de
ceux qui l’ont fait. Mais après tout, comment leur en vouloir, car à part
quelques anachronismes héréditaires divertissants, nul ne peut prendre
un pouvoir qu’on ne lui ait confié et qu’on ne puisse lui reprendre !
Ce
n’est pas au chef d’entreprise qui, après s’en être mis plein les poches,
et quelles poches ..., conduit au chômage des milliers de personnes et
à la ruine autant de petits actionnaires, se fait servir un pont d’or
pour aller digérer au soleil l’ingratitude des masses qu’il faudrait en
vouloir, c’est à son conseil d’administration, comme aux actionnaires,
de l’avoir élu et laissé faire.
Ce n’est pas à Barrabas qu’il faut en vouloir d’avoir sauvé sa peau, c’est
à ceux qui s’en sont lavé les mains comme à ceux qui en ont fourni l’eau.
Serait-ce au politique, qui après avoir magouillé les élections et traficoté
l’opinion publique par médias interposés conduit son pays à la guerre
à des fins personnelles, remplissant à l’occasion les cimetières, qu’il
faudrait en vouloir ? Ne serait-ce pas à chacun et chacune de ceux qui
ont voté pour lui, comme à chacun de ceux qui, élus subalternes ou administratifs
de “haut rang”, ont laissé faire et souvent profité des miettes au passage
?
Est-ce au gendarme qu’il faut en vouloir d’appliquer des lois votées “démocratiquement”,
même si parfois les méthodes d’application sont quelque peu limite ...,
ou à celui qui, dévoyant de bonnes raisons, a fait voter des textes absurdes
à des fins populistes, voire inavouables..., ou plutôt à ces braves gens
qui, ne voyant que le bout de leur nombril, vont continuer à voter pour.
Est-ce le boucher l’unique coupable, même celui qui a fait torturer ou
gazer des pans entiers de la population de son pays, organisé les massacres,
généré des quantités telles de cadavres que les compter en devient dérisoire
? Ne sont-ils pas autant responsables ceux qui l’ont sciemment mis en
place, qui lui ont vendu les armes pour le faire et partagé les bénéfices,
les petites mains qui avec bonne conscience ont gentiment obéi aux ordres
et tourné la gégène, celui qui par civisme a dénoncé son voisin et hérité
au passage d’un appartement soudain vide, ou le chœur des charognards
qui applaudit la valse et la montée en bourse des valeurs associées ?
Ce n’est pas au marteau qu’il faut en vouloir de nous écraser les doigts,
c’est à la main qui le tient et à celui qui à mis la sienne là où elle
n’aurait pas dû être !
Faute de gibier d’eau, la chasse au bouc émissaire est ouverte.
Qu’il est doux et agréable de connaître le coupable, le responsable, celui
qui a fait pleuvoir pendant quinze jours, celui qui a décrété la canicule,
celui qui vous a fait pousser des cors aux pieds, et c’est encore ta mère
quia rendu les gosses malades, et c’est le voisin qui a fait crever la
vigne, et si tu avais fermé ta gueule je ne serais pas obligé de te casser
les dents ! Quel beau rêve, la bienheureuse béatitude de l’éternelle innocence,
du “c’est pas moi c’est lui”, du “c’est pour ton bien que je t’écrase”
!
Le
pouvoir du rêve n’a pas de limites, si ce n’est celle de sa propre imagination,
il n’est pas contrôlable, il n’appartient qu’à celui qui le génère même
s’il peut se partager et se doit de l’être. Et si le rêve est facile au
soleil le ventre plein, il est malheureux de constater que s’il survit,
les brodequins aux pieds, un entonnoir dans la bouche et délicatement
empalé, alors le rêve devient puissant et génère son tsunami.
Le rêve nous est force de vie, c’est lui qui confère l’énergie du vouloir,
c’est lui qui transfigure l’étriqué du quotidien, c’est lui qui permet
de dépasser nos simples fonctions digestives, c’est lui qui réveille l’humain
qui sommeille quelque part au fond de chacun.
En quoi cette force de vie dérange tant qu’elle coalise contre elle une
telle violence ? Serait-ce qu’il laisse voir que le comble du ridicule
est d’imaginer qu’une vérité puisse être autre chose qu’une manière de
voir, et qu’un credo n’engage que son auteur, que chacun construit autour
de lui son petit monde, régit selon ses petits modes, les uns et les autres
n’étant qu’”atomos”, minuscules fractals sociaux au milieu d’infinis possibles?
L’illusion suprême ne serait-elle pas celle du législateur qui, pensant
construire un monde ne fait que le réduire, et le réduisant, le conduit
à sa perte.
L’évolution
générale quoiqu’il advienne se fera, d’une manière ou d’une autre, dans
un sens ou un autre, et imaginer bloquer un processus en le verrouillant
est d’une telle absurdité que les crotales eux-mêmes s’en tapent la queue
par terre aux fins fonds des déserts.
L’exclusive ne produit que pression dans la cocotte, retarde l’échéance,
ne conduit qu’à l’inéluctable explosion d’autant plus puissante qu’elle
sera retardée. Rêvons un peu ...
Imaginons un ensemble dans lequel on ne veuille pas à tout prix, même
celui du ridicule, tout réglementer, de l’heure du biberon à la taille
des crayons, des endroits pour doubler à la vitesse pour le faire, de
la taille des slips à l’usage qu’on en fait, de ce que je mets sur ma
tête ou dans ma cigarette, un ensemble dans lequel au contraire l’objectif
serait de laisser au fractal de base, l’individu, une latitude de manœuvre
maximale, simplement définie par un code de conduite réduit à sa plus
simple expression, l’éthique.
Objectif
général : la dé-législation, la subsidiarité exacerbée à son point ultime,
le libre choix de l’individu dans le respect de l’autre, point de départ
de la liberté de chacun. La coercition y serait proportionnelle au non
respect d’autrui.
Qui
attente à la vie, celui qui, par un bel après midi d’été se balade à poil
sur les champs Elysées, ou celui qui, pour la course au profit saccage
la planète ? Et pourtant, lequel des deux, aujourd’hui, finira en taule
sa journée ? Le poids social pourrait-il ne plus se mesurer au nombre
d’individus dominés ou écrasés, mais à la diversité de ceux que on connaît,
de ceux que on respecte, à l’instar d’un système nerveux, dont la puissance
et l’efficacité se règle par la quantité de connexions équitables de chaque
neurone.
La loi ne serait plus alors le pensum infini des interdits décortiqués,
mais la qualification de l’esprit des actes. L’objectif ne serait plus
la valorisation personnelle par la puissance et la domination, mais la
valorisation de l’autre par le respect que je lui accorde, les ouvertures
que je lui procure, les développements que je lui propose.
Je
tolère tes erreurs comme tu tolères les miennes, j’admets tes limites
comme tu admets les miennes.
L’encartement
devient antisocial car limitant les possibles. La richesse d’un milieu
se mesure-il autrement qu’à la diversité des espèces qui le composent
?
Inventerons nous un jour le crime d’atteinte à la pluralité, le crime
d’atteinte à la culture, à l’éducation, à l’art, le crime de préférer
deux mètres carrés de goudron à une exposition ?
Ca, c’est un rêve qui vaudrait d’être vécu !
I
had a dream avait-il dit ! Les rêves d’aujourd’hui sont notre futur !
Et quand je vois celui qu’on nous prépare ... Il paraît urgent de se mettre
au boulot, que chacun ait le sien, et qu’il le mène au bout.
“
Ton devoir réel est de sauver ton rêve” disait Modigliani ..., avant de
mourir de faim, main dans la main avec Béla Bartók, qui lui non plus n’avait
pas d’imprimatur ni de statut d’intermittent.
François
Hameury
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