Tout le monde a le droit de se conduire parfois comme un imbécile, de s’octroyer des vacances, ou comme disait Hergé: “ de prendre du jeu dans les rivets” , ou ... “de grésiller du trolley”
Non seulement tout le monde en a parfois le droit, mais il est assez probable, que pour éviter le risque de se voir un jour définitivement reformater les neurones, un lâchage de lest est parfois nécessaire, et il serait injuste de le reprocher à quiconque.
J’avoue avoir d’ailleurs dans l’exercice un florilège personnel intéressant ! L’exercice du lever de soupape est, dans notre société si bien organisée, habituellement limité dans le temps et dans l’espace, hors desquels il est plutôt malvenu, et souvent plus ou moins lié à la musique, comme si le rythme et la transe étaient seuls aptes à nous sortir de nous mêmes et de nos carcans.
Il faut reconnaître à certaines expositions, rares, le mérite de s’y être frotté, et parfois avec succès. Les grandes comme les petites messes de l’art, et autres liturgies culturelles, gagneraient sans doute beaucoup à intégrer cette dimension.
Outre l’avantage de donner aux participants comme aux spectateurs l’occasion de se titiller les neurones, cela aurait celui d’offrir à chacun la possibilité de pénétrer l’art de façon intime et personnelle, en toute liberté, et particulièrement celle d’y exercer son propre discernement. Ah, le discernement ... le petit côté suranné du terme en dit déjà long sur le peu d’usage qu’on en fait !

Et pourtant...osons imaginer un quotidien dans lequel chacun se forgerait son avis non pas en fonction des ouï-dire, du qu’en dira-t-on ou du qu’en est-il dit, mais plutôt selon le ce que j’en pense, le ce que j’en ressens, le ce que j’en sais tout en voulant savoir plus !
Un cauchemar pour les publicistes, un rêve pour les journalistes : parler de ce qui les intéresse vraiment et non pas de ce qui est supposé intéresser ...
Aux oubliettes la dictature du Hit parade, noyade du népotisme, enterrement en grande pompe de l’audimat, fusion dans la masse du sondage par survoltage. “Selon l’avis des experts...” redevient alors ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’être : un avis, et non pas un oukase, et la diarrhée verbale un emballage du vide.

Le discernement, ne serait-ce pas aussi le droit de se tromper, et pouvoir le reconnaître, celui de péter une durite sans voiler la culasse, ou de s’offrir un coup lof sans risquer la trempette.
Quel service rendu à la communauté !
Quel service rendu à chacun!
Enfin un objectif commun entre l’ensemble et ses éléments.

Suggestions pour la rentrée : “à entropie constante, l’enthalpie du système augmente-t-il avec le discernement des éléments “, z’avez deux heures ! question subsidiaire : “ l’entropie peut-elle baisser ? ”
En ce sens, la valeur d’un art pourrait-il être mesuré non pas à ses qualités esthétiques, de savoir faire, ou de sa place dans la grande ellipse de l’histoire de l’art, mais en ce qu’il peut accroître le discernement de chacun , et bien sûr, du nombre des concernés, en gros de sa faculté à ouvrir l’esprit ?

Suggestion pour le deuxième trimestre : “l’Art de Picasso est-il enthalpique ou entropique ? “ z’avez trois heures... ça ferait très bien dans les salons, à développer entre la poire et le fromage, ou entre les canapés et le caviar !! Blague mise à part, l’Art de Picasso réside-t-il dans l’évaporation du clair obscur, dans l’éclatement de la perspective renaissance, dans le symbolisme cru, dans la catalyse généralisée, ou en ce qu’il a permis la première étincelle entre l’art africain et l’art européen, en ce qu’il oblige le spectateur à recréer ses volumes, à penser en 3D, à penser autrement ? Bonne question !

Symptomatique d’un art de vivre, discernement est souvent accouplé avec manque, s’adressant à l’autre, bien sûr, à posteriori toujours, qu’on pourrait rapprocher de ce que Coluche disait de l’intelligence, la chose la mieux partagée au monde, vu que, quoi qu’on en soit pourvu, c’est avec qu’on en juge !! Virtuose de l’exercice, voici l’homo avant-gardus, défini par le nouveau credo , 11° commandement de l’ère moderne : “ tu ne verras et ne feras que ce qui n’a jamais été !” , ou qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon.
L’espèce est facilement identifiable, par son comportement : L’œil est souvent perplexe, rond à tendance goguenard, quelques rares commentaires, toujours succincts : “ Déjà vu ! “, insulte suprême de celui qui croyant avoir tout vu cherche désespérément à être encore surpris, ou “ Déjà fait ! “, beaucoup mieux, car ne s’intéresse même pas au résultat, mais à la manière de faire, le tout appuyé sur une conviction profonde : être le sel de la terre, les élus du savoir.

Quel plaisir d’être un élu, mais quel travail aussi ! d’abord avoir tout vu, ou du moins le faire croire, à défaut d’avoir tout fait, qui demande malgré tout quelques compétences et quelques investissements personnels, d’autant qu’un peu musculaire...! Etaler ses références n’est pas à la portée de n’importe qui, et se faire rayer des cadres est si facile! Il suffirait de trouver une originalité quelconque à quelque chose en manifestant ainsi son inculture, machin-chose l’a forcément déjà fait! Eviter tout d’abord l’erreur triviale : peindre avec un pinceau, parler avec sa bouche, sculpter dans la matière, ou penser avec sa tête. Le péché mortel, l’erreur suprême, la quintessence de l’insignifiance : “ aimer une toile rectangulaire, accrochée au mur, utilisant la couleur et travaillée au pinceau “, quoi que ce soit qu’elle exprime n’ayant dès lors plus aucune importance.
Pour consentir quelque intérêt à une peinture, vérifier qu’elle soit au moins sur une non toile originaire du fin fond de la cordillère des Andes, ramenée à la côte à dos de lamas, importée en Europe à la nage, peinte avec les pieds, travaillée au silex, n’utilisant que des pigments ramassés avec les dents les nuits d’équinoxe. Quoi que ce soit qu’il y ait dessus n’a bien sûr toujours aucune importance, car ça, c’est du jamais vu, et il y a peu de risques à le reconnaître.
Le grand avantage du “déjà vu” est qu’il ne demande ni de regarder, ni d’appréhender, encore moins d’avoir un avis. A la limite, équipez vous d’un bon programme informatique, flanqué d’une base de données encyclopédique de l’histoire de l’art pour porter un avis compétent sur toutes les références et connotation de n’importe quel travail, sauf bien sur ce qui n’a pu être fait précédemment pour causes de contingences matérielles : allez donc trouver une vidéo renaissance !

“Déjà fait”, amusant... combien de milliards de fois l’amour a-t-il été fait sur terre, combien de couchers de soleil, combien de pleines lunes rousses, combien de petites béatitudes, et pourtant chaque fois, ...

L’humour de la situation, est que dans une société dont le moteur principal repose sur le nouveau à tout prix et la fuite en avant, cet avant-gardisme de façade n’est-il pas finalement que le simple reflet du mode social dominant? Ce qui est, par définition, l’essence du conservatisme.

Et si, usant de notre discernement, nous cherchions ce qui différencie, ce qui fait le sel, ce petit pétillement du regard qui porte haut l’envie d’aller plus loin, le beurre dans les épinards.

Le discernement : mieux que Wonder, ne s’use qu’en n’en usant pas !

Francois Hameury