Tandis qu’Alexandre brûlait Tyr et Persépolis, en se construisant au fil de l’épée un gigantesque et fort temporaire empire, et que la vie ne valait que les plaisirs du Prince, Praxitèle sculptait des Aphrodites et des Apollons si sublimes qu’ils sont vingt trois siècles après toujours inégalés. Pendant que Cicéron lancait son inoubliable “O tempora O mores !” sur les turpitudes politiques et morales de ses concitoyens, que les tripes des esclaves se répandaient sur le sable des arènes, Pompéi se couvrait de fabuleuses collections de fresques. Alors que les Médicis, Borgias et autres jouaient gaillardement de la dague damasquinée et se servaient mutuellement avec de grands sourires de l’arsenic au dîner, Michel Ange achevait la Sixtine, les Esclaves, et un David si génial qu’il en changea les règles de la perspective. Ronsard en était encore à effeuiller la rose pendant que se préparait la Saint Barthélémy, l’immonde boucherie de la “grande guerre “ a engendré le surréalisme et le fascisme, l’expressionnisme. Se vautrant dans l’abject, la concupiscence et le sordide, serait-ce par contre réaction ou par besoin d’équilibre que l’homme, chaque fois, redonne à l’Art des lettres de noblesse. L’orchidée elle-même ne s’épanouit-elle pas sur la pourriture? Par les temps qui courent, où les magouilles politico-économiques engendrent des cadavres par millions, déchiquetés à l’arme lourde, à la machette, à l’atome, à la mine antipersonnel ou aux gaz neuro-toxiques, du Burundi à l’Erythrée, en passant par la Tchétchénie, l’Afghanistan, le Kurdistan, l’Irak, le Koweït, la Bosnie et autres théâtres de l’activité humaine, l’homme atteint des sommets dans l’ignoble. Des poubelles flottantes, estampillées sans risques, transportent nos pires déchets, dans le seul but d’augmenter misérablement des bénéfices déjà si considérables que le nombre de leurs zéros donne le vertige. L’inévitable arrivant, on se vante alors d’avoir pu, selon une logique dont on n’ose même pas imaginer les arcanes, tirer au large deux demi-pétroliers pour avoir la satisfaction de les voir couler par cent mètres de fond et par là même polluer cinq cent kilomètres de côtes... Mais qui aurait oser téléphoner au Maire du port dans la baie duquel on aurait pu circonscrire les dégâts pour lui annoncer la bonne nouvelle ? Sous des motifs toujours plus glauques, et souvent libidineux des religieux conquérants sanctifient une fois de plus le gargoullis de la gorge béante de nourissons éventrés. La bêtise contemporaine a-t-elle quoi que ce soit à envier à celle de nos prédécesseurs? Lorsque notre cupidité maladive conduit à introduire dans des farines animales, qui auraient sans doute pu rester saines et utiles pour les élevages d’animaux omnivores, les chats et les chiens, les cadavres décomposés d’animaux malades, les boues d’épurations, les fientes et autres raclures de poubelles, que par prévarication nous en donnons mêmes aux ruminants,avec les conséquences que l’on sait, est-ce autre chose que le fruit de notre aveuglement? Tandis que des produits interdits, qualifiés de mortels, ont été sciemment tout autour du globe ré-étiquetés , redistribués, revendus, l’indice boursier en étant la seule sanction, preuve n’est elle pas alors faite que l’homme arrive encore à se surpasser? Alors l’art d’aujourd’hui ne nous devrait-il pas d’atteindre au sublime! Du sublime, qui coupe le souffle, qui remue les entrailles, qui fasse rire et pleurer, qui pète les sens et donne des ailes, du qui permettrait peut être à nos descendants d’imaginer ce contre point qui donne sa couleur à la vie, qui permette d’avancer, qui permette d’espérer. Certainement il existe, il doit exister ! On le croise parfois au détour d’une musique, d’un film ou d’un bouquin, on le croise peu dans les mièvreries nombrilistes des arts spéculatifs, dans lequel les discours lénifiants ont couvert d’un voile impudique les amères médiocrités. On le croise peu, aussi, en place publique. La
recherche du plus grand dénominateur commun et de sa plus value inhérente
y a conduit bien trop souvent à la recherche de la moindre pente. La démocratie a partiellement remplacé la dictature, mais le mécénat du Prince n’est trop souvent remplacé que par l’estime des citoyens. Serait-ce que la déresponsabilisation de chacun, cette recherche perpétuelle du coupable, ou du bouc émissaire quand la marée est trop haute ou le vent trop fort, cette délégation générale des décisions que l’on s’empresse aussitôt de critiquer faute de n’avoir pas voulu ou pas pu y participer , cette irresponsabilité quotidienne, qui nous poussent à la lobotomie généralisée ? Nous sommes tous responsables, nous sommes tous coupables. Et pour commencer, pour attaquer gaillardement ce nouveau millénaire, si nous y allions chacun de notre 1% personnel, assumant nos choix et nos goûts sans attendre qu’un Etat impersonnel et administratif le fasse à notre place, non pas tant pour rajouter encore un bibelot sur le cheminée, un presse papier sur le bureau, ou un colifichet de vacance souvenir d’avoir “fait” la Thaïlande ou la Turquie, ni pour améliorer le petit décor de notre théâtre quotidien, que pour afficher notre engagement personnel, que pour poser notre détermination à être partie prenante de ce que on voudrait que la vie soit. Le monde est-il autre chose que le reflet de ce que nous sommes ! Bonne Année ! François Hameury |