Montaigne, décidément très à l’honneur ces temps ci, écrivait “... il semble que l’ame esbranlée et esmeuë se perde en soy même si on ne luy donne prinse; et il faut tousjours luy fournir d’object où elle s’abutte et agisse...”, puis il cite Plutarque ( en latin dans le texte) : “ de même que le vent, si d’épaisses forêts ne viennent pas lui faire obstacle, perd ses forces et se dissipe dans l’espace”.
Il développe alors une intéressante vision des choses, tendant à prouver que l’homme se transforme assez vite en légume s’il ne se trouve pas un champ sur lequel combattre. Vérité première s’il en est, et aisément vérifiable à chaque instant.

Dans la très courte histoire humaine, le combat s’est souvent résumé à la “struggle for life”, si possible au détriment d’autrui, en se choisissant la proie la plus facile et en l’amenant sur son propre terrain, ce qui est le propre du prédateur animal.

De nombreuses versions sont possibles dans l’exercice du remplissage abusif de son tube digestif à partir de l’assiette du voisin.
La plus primaire, encore assez commune quoiqu’un peu démodée, pratiquée le plus souvent en groupe, est l’étripage d’autrui à la pointe de l’épée.
Mais on en trouve des formes plus intéressantes, dont un bon exemple est l’utilisation du système judiciaire. La recette est bien connue, la cuisson délicate.

Choisir tout d’abord un couillon honnête, débordant de bonne foi, engraissé à la parole donnée. L’entrelarder d’un contrat finement émincé d’attendus casuistiques, l’endormir délicatement au gras de la confiance, faire mijoter à petit feu le temps d’épaissir la sauce, puis faire saisir rapidement lorsque la coupe est pleine. A servir accompagné d’un avocat bien mûr accompagné d’un assortiment d’arguties, de faux semblants, de mensonges éhontés, et d’une mauvaise foi sans faille.
Draper le tout dans un sursaut indigné digne d’une vierge effarouchée. Imparable ! Le résultat est souvent indigeste, et s’il remplit le garde-manger il est assez peu gratifiant.
Mais après tout, ventre affamé n’a pas d’oreilles, et la boulimie est une faim comme une autre.

La choix de l’adversaire est bien sûr essentiel, comme l’objet du butin, et Puisqu’il en faut un, soi-même, pourrait être un bon choix.
N’est-il pas un adversaire toujours à portée de la main, qui déçoit rarement, contre qui la victoire n’est jamais acquise malgré les batailles gagnées, et qui répond présent dans toutes les circonstances.
Et donc, plutôt que de se battre contre l’autre et pour soi, pourquoi pas se battre contre soi et pour l’autre, avec comme butin son propre équilibre.

Enfin un combat qui est tout sauf gagné d’avance, sans témoins ni médailles, et finalement le seul qui vaille la peine ! “Imagine ...” disait John Lennon. “Imagine...” difficile sans doute à pratiquer en tout et partout, mais s’il est un terrain sur lequel commencer, ne serait-ce pas l’art?
Que chaque sculpture, chaque création soit un champ de bataille, aidant chacun, chaque fois à aller un peu plus loin , en offrant aux autres une plus grande part de soi.
Mais combien sont réellement gagnées, combien refusent la facilité et le choix de la moindre pente? Et dans cet esprit là, qu’importe le support, qu’importe le concept, qu’importe le langage, l’intention ne primerait-elle pas ? Imaginons..., chaque sculpture, chaque création comme une offrande à l’autre, à la hauteur de ses moyens, en essayant chaque fois d’en repousser les limites.
Charge à chacun d’en repousser les siennes, charge à l’autre de l’ accepter comme tel.

Un long chemin, sur lequel finalement les victoires sont rares et difficiles, ce qui en fait la valeur.

Et si c’était ça, la valeur de l’art ?

“Dis- moi pour quoi tu te bats et je te dirai qui tu es !”

François Hameury