L’œil lui pendait de travers. Il faut dire à sa décharge que seul le plus grand hasard avait conduit ce visiteur à passer la porte de mon atelier. Il faisait beau ce samedi après midi, et la foire au puces annuelle drainait à cent mètres de là son lot habituel de quelques centaines d’amateurs de fonds de greniers. L’entrée payante quoique symbolique avait conduit une toute petite poignée de récalcitrants, tant qu’à être là, à visiter l’exposition, au moins un sur cent, et il était de ceux-là. L’œil lui pendait de travers, cherchant vainement sur une plaque de granite rose gisant à ses pieds, bloblottante, accordée sur le rythme caractéristique d’un cinq à sept de galets bleus, quelques repères qui lui eussent permis une subtile remarque, un trait d’esprit ouvrant la voie à une communication subliminale entre consciences supérieures. Assez curieusement je me suis alors revu dans le même état devant une rognure de papier crépon bleu délavé punaisé rouge sur le grand mur vide et blanc d’un temple de la culture, et probablement intitulé “sans titre N° 43”. Après mûre réflexion, le verdict tomba : “ c’est de l’art ... n’est pas ? “ et cherchant un soutien moral sur un terrain glissant, il conclut par un : “ ... ça ne sert à rien ... “ hésitant entre le point d’interrogation et celui d’exclamation. Enfin
la consécration ! Dans
les startings-blocks : le football, le saut à l’élastique, la traversée
de l’atlantique en patin à roulettes, l’ascension de l’Himalaya sur les
coudes, dont les indices d’écoute perforent les statistiques et explosent
l’audimat. D’ailleurs dans la foulée, et ne servant à rien, après mûre
réflexion, pourquoi ne pas rajouter la musique, la danse, les langues
étrangères, les langues tout court, le presse purée, l’amour, la reproduction
et le tire bouchon! Et même, au point où on en est, vivre et respirer,
à quoi ca sert, si ce n’est à faire disparaître les espèces vivantes,
concurentes ou non, et à transformer en cloaque ce qui fut, paraît-il
un jour, la planète bleue ? Comme de plus, il devient hautement probable que la respiration de l’univers, à la suite de la période d’expansion que nous traversons aboutira à une période de concentration jusqu’au prochain big bang, et que, quoi que nous fassions, le susdit se retrouvera un jour réduit à la taille d’une balle de tennis englobant quelques milliards de galaxies, juste après que la nova Soleil ait digéré la Terre, pourquoi donc se lever le matin et se laver les dents ? Qui donc déjà a dit “ .. et c’est d’autant plus beau que c’était inutile !” Vanitas, vanitatis,.. Qu’en pensent donc les camés à la plus value, les shootés au pouvoir, les intoxiqués au cash flow, les drogués au bénéfice ? François Hameury |