Une Sculpture de plein vent Au
début était le verbe, comme d'habitude. Et le verbe dit : 'François, j'aimerais
une sculpture pour le Parc qui soit apte à produire un peu d'électricité'.
Ça, c'était un souhait méritant réflexion ! Le terrain en question est une colline, de celles que l'on trouve dans les bandes dessinées, un cul d'œuf herbu émergeant d'un paysage vallonné fort champêtre où il est plus facile de croiser un troupeau de biches qu'un promeneur. La maison, en léger contrebas, est un ancien séchoir à houblon du XIXème. Le commun central est flanqué de deux tours jumelles rondes dont les toitures coniques et tuilées sont chapeautées d'une aération à dépression. Un endroit béni d'Éole. Cette sculpture sera ostensiblement une éolienne. La confiance dont le commanditaire vous honore est un des moteurs essentiels de la création, la réciproque est vraie. Sur cette commande, j'ai eu quelque moyen. Cela m'a permis de placer la barre assez haute, sans trop de soucis ni du temps passe, ni des factures qui tombent. C'est un grand luxe. C'est aussi un privilège de bénéficier d'un sponsor qui sait ce que confiance veut dire, qui ne mégote pas un vingt-cinquième alinéa au contrat de douze pages imposé par une commission imparitaire d'administratifs soucieux de justifier les deniers publics de leurs émoluments. D'autant bien sûr qu'eux savent ce que l'Art doit être ; ne sont-ils pas payés pour ca ? C'est un autre luxe que de se faire dire simplement : 'Fais !'. L'alchimie est toujours délicate entre celui qui offre les moyens et celui qui offre son temps et sa passion. Elle est détonante parfois, passionnée sûrement, dans le genre Je t'aime, moi non plus. Enfin, même aliénée par la technique, l'esthétique prime. Les lignes hautes tendent au décollage, l'OVNI est prêt à partir voilure gonflée. Les soudures soulignent les lais que les voiliers reconnaitront. Les lignes basses, accentuées par des effets de soufflets, l'ancrent au sol, serres acérées. La dichotomie des fonctions engendre celle des formes. D'un point de vue construction, le souci est l'équilibre, et donc la précision. Les axes se doivent d'être calés au mieux, les masses identiques, les volumes semblables. L'exercice n'est pas des plus aisés avec le laiton, lequel a la fâcheuse faculté de partir à dreuze à la moindre chauffe, mais aussi de revenir au bercail si on le lui demande gentiment. C'est un exercice assez scolaire, mais la rigueur induite par la mécanique se traduit aussi d'un point de vue sculptural, comme la manifestation d'évidences mutuelles. Alors, faire tourner une éolienne, fut-elle une sculpture, c'est bien ; la faire produire, c'est autre chose. Il n'existe pas sur le marché d'alternateur ou de dynamo adaptés à ce genre de situation. La solution triviale serait un grand volant avec aimants périphériques excitant des bobines fixes. Mais esthétiquement, un machin tournant au cul de la bête me déplaisait, sans parler du couple de démarrage sensiblement élevé. Finalement, je suis parti sur une dynamo, deux volants magnétiques de Mobylette tête-bêche, quatre bobines retaillées pour, et un embrayage centrifuge à masselottes ; le tout pour une multiplication globale de 15. Grosso modo, il existe trois méthodes pour produire une énergie mécanique à partir du vent : " L'hélice, qui reste la meilleure méthode en terme de vitesse, de rendement et de puissance, mais qui limite un peu les possibilités sculpturales. " Le rotor de Darrieus, qui se rapproche de la pale d'hélicoptère montée en faisceau. Il est très efficace, beaucoup plus ouvert dans ses lignes, mais, n'étant pas autoportant, il demande une structure extérieure. " Et le rotor de Savonius, qui est basé sur la trainée différentielle de coupelles aux formes et nombres variés, comme un anémomètre à trois coupelles demi-sphériques pour la météo. Cette éolienne est de type Savonius, à axe vertical et à trois ailes, en laiton, devant pouvoir embrasser largement un vent faible pour être souvent en mouvement, tout en pouvant aussi réduire sa voilure par vent fort. Les ailes sont donc mobiles, autorégulées par la force centrifuge, produisant ainsi une sorte de régulateur de Watt. Le tout est contrôlé par un couple de rappel centralisé, produit par un ressort en compression. Par petit vent, le mouvement se lance toutes voiles dehors, et enclenche l'alternateur vers 15 tours/mn avec 17 Volts à vide. Il commence à charger la batterie vers 20 tours/mn, réduit la voilure à partir de 30 et pointe en vitesse de croisière par gros temps sous trinquette vers 45 tours/mn. Le tout reste d'abord une sculpture qui si elle produit, n'est pour autant pas productiviste. Les ailes, se devant d'être semblables, sont montées en parallèle, élément par élément, sur les mêmes patrons, soudées des deux côtés, sur la même forme, et en permutation circulaire aléatoire. Chaque élément est perforé à froid, puis déformé à chaud pour se mettre en place par effets de dilations différentielles, sans martelage ; les rondeurs en seront plus souples. L'opération est longue, mais le résultat est là. La mécanique centrale est contrôlée par un ressort de suspension de voiture, donnant environ 50kg pour 5cm. Il est en appui sur une platine réglable dans sa partie haute, de façon à adapter le couple de rappel à la vitesse de rotation. Il est en effet important que l'enclenchement de la dynamo se fasse sensiblement avant que les ailes ne commencent à se fermer, évitant par là les battements mécaniques. Prise dans un pied de résine, la partie basse est compressée par trois câbles renvoyés par une série de réas sur trois cames couplées aux axes de rotation des ailes. Les réas sont en bronze. Les axes, cames et autres mécaniques, comme les roulements, sont en inox. Le gros avantage est que le couple de rappel est réparti également sur les trois éléments mobiles ; leurs mouvements sont synchronisés. L'axe central, extrait d'une soupape de moteur de bateau, retaillé puis trempé revenu, est monté vertical entre deux roulements à rouleaux coniques. Entre ceux-ci, une sortie de boite hélicoïdale conique renvoie l'horizontal sur une poulie en résine de 25cm couplée avec l'embrayage par courroie rainurée. Un régulateur de tension à ressort spiralé absorbe les à-coups de l'alternateur, et minimise les usures à venir. L'ensemble produit quelques frottements, malgré tout raisonnables, vu la dizaine de roulements dans la ligne. La rotation s'enclenche sous faible brise. Dix mois, c'est une longue bataille qui tient plus de la course de fond que de la fulgurance du sprint. Elle ne peut se gagner seul. L'intendance et le service sanitaire sont vitaux. Pour l'intendance, il faut avouer que peu à peu les bonnes adresses sont au point, et que quelques méls suffisent pour se faire livrer n'importe quoi dans des délais ridicules. Lorsque les fournisseurs semblent se prendre au jeu des défis impossibles, ça aide. Au niveau local, beaucoup se sentent impliqués dans un tel processus, perçoivent le niveau du défi, s'en sentent partie prenante, et font leur possible pour donner un coup de main à l'occasion. Du garagiste qui, pour une poignée de cacahuètes, va démonter une boite automatique parce que j'espérais y trouver quelque engrenage particulier, au propriétaire de la boite en question qui s'enquière de la destination des pièces ; de la société de mécanique de précision à qui je demande parfois de me tourner quelque élément dépassant les possibilités de mon outillage, et où chacun se met en quatre pour le faire, aux Fenwicks et autres tracteurs qui apparaissent par miracle avec le sourire lorsque nécessité de manipulation fait loi ; des gamins du bourg qui prêtent parfois une main lorsque deux n'y suffisent plus, au café qui apparaît sur le comptoir du bar du coin au simple bruit de la Motobecane ; sans parler bien sûr des copains, qui semblent organiser une permutation circulaire des permanences pour entretenir le moral des troupes, et sans lesquels il faut bien avouer qu'à force de fluctuat, la barque eût mergitur. Bref, une énergie collective se fédère autour du projet. C'est cette énergie qui nourrit la bête et fait tenir le cap. Mais c'est le même cap, en serrant au plus près, qui finit par générer son vent. Et qui ne pourra jamais dire lequel est le premier, de l'œuf ou de la poule ? En tout cas, on pourra ergoter longtemps sur le quoi ou le comment de l'art, si tant est qu'il y ait des réponses. Mais si on admet au moins que le rôle de 'l'artiste' est de créer, alors générer de l'énergie, physique ou morale, collective ou individuelle, n'en serait il pas une asymptote ? Quoiqu'il en soit et pour une fois, on pourra peut-être éviter les sempiternelles questions du genre : 'Et c'est vraiment un oiseau ?' ; celle-ci posée d'un air docte devant un truc avec deux pattes, deux ailes, une tête et un bec. Ou bien 'Et pour la conception, vous faites appel à qui ?' ; une nouveauté intéressante sortie d'un air dubitatif par la représentante d'un Conseil Général après une longue visite appuyée de mon atelier. Ou bien celles qui tombent après de vigoureuses remarques de soutien et d'étonnement, voire même parfois de compliments ébahis, comme ; 'Et à part ca, vous faites quoi pour vivre ?' ou encore ; 'Et il y a vraiment des gens qui achètent ?'. La liste est longue et chacun a son florilège de perles sur le sujet, que l'on pourrait sans doute classer par thèmes et pour lesquelles parfois, il serait bon de distribuer quelque médaille lorsque enfin, rarement, une nouveauté sort du chapeau. Enfin me croirez-vous si je vous dis que je n'ai pas échappé à la question qui tue ; 'La batterie, c'est pour la faire tournez ?...'. FH |