Le Luxe

Le plus grand luxe que son statut confère à l' "artiste", quoique ce qualificatif à force d'être tant galvaudé que sanctifié en ait perdu sa substance, est de faire ce qu'il veut, comme il veut, quand il veut.

Rares sont ceux qui partagent ce privilège. Il y a bien sûr une contrepartie, celle de devoir être seul responsable de ses choix, et les assumer.

L' " artiste " a, plus que tout autre, un devoir, un seul, celui d'être et d'aller au bout de lui-même. La manière, le biais, le médium, la forme n'ont finalement qu'une importance fort secondaire. C'est l'acte qu'il pose en tant qu'humain qui donne vie et puissance à l'œuvre, comment pourrait-il ne pas y avoir consubstantialité de l'être et du faire ?

Pour l' "artiste", c'est le niveau d'implication personnelle qui donne la mesure de son travail, laquelle n'a évidemment rien à voir avec celle que lui confère le monde extérieur dont les critères souvent abscons et superficiels intègrent beaucoup, mais certainement pas les états d'âme du créateur, qui n'a que lui-même comme juge. Position dangereuse et fortement instable.

Bien sûr, nous n'en serions pas là si le monde des faiseurs de côtes n'était pour l'essentiel, dans notre société d'emballage, plus sensible au clinquant du chamarré qu'aux demi-tons de la bure.

L'illusion se valorise-t-elle mieux que le labour ?

Le fait malheureusement est là, rendu juge et partie, l'"artiste" a peu d'autres choix que celui d'être son propre critique, comme de définir les critères qui vont avec. Situation périlleuse dérivant vite malsaine car pour vivre et travailler il lui faut aussi se vendre.

Là, à mon sens, intervient le défi, celui que l'artiste se lance à lui-même à chaque pas, défi dont il est seul juge, et seul à même d'en apprécier le résultat, d'en connaître les esquives, d'en savoir les points faibles et les démissions comme les succès et les mérites.

Ce genre d'exercice devrait le rendre modeste, et le mettre mal à l'aise devant les tombereaux de superlatifs qu'on lui assène parfois lorsque par miracle la reconnaissance lui tombe dessus. Y a-t-il plus pitoyable que la satisfaction narcissique du faiseur de rôts laissant admirer à un public ravi sa crotte au fond du pot ?

Si chacun prétendant au qualificatif d' "artiste" ou espérant y prétendre un jour se demandait ne serait-ce que parfois - aurais-je pu mettre la barre plus haut - ne pouvoir honnêtement que répondre - je crois que oui, … -, et tenter de la monter d'un cran, lors, beaucoup de discours n'en deviendraient-ils pas inutiles ?

François Hameury